Alors que la famille Bongo multiplie les recours judiciaires à l’étranger, l’État gabonais, sous l’impulsion du général Brice Clotaire Oligui Nguema, lance une riposte judiciaire d’ampleur en France, à Libreville et dans plusieurs capitales internationales. Enquête sur les dessous d’une bataille politico-judiciaire sans précédent.
Depuis la chute d’Ali Bongo Ondimba le 30 août 2023, consécutive à un coup d’État militaire orchestré par le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), la famille déchue n’a eu de cesse de contester son éviction par la voie judiciaire. En réponse, le Président de la République, le général Oligui Nguema, passe à l’offensive, ciblant l’ancien président et ses proches dans plusieurs juridictions à travers le monde.
La première étape de cette contre-offensive se joue en France. Selon nos informations, l’État gabonais a saisi la justice française pour ouvrir une enquête visant Ali Bongo Ondimba, son épouse Sylvia Bongo et leur fils Noureddin Bongo Valentin. Les charges présumées : détournements de fonds publics, blanchiment d’argent, enrichissement illicite et corruption.
La France, déjà bien connue pour avoir accueilli les affaires dites des « biens mal acquis », devient à nouveau le théâtre d’une lutte judiciaire impliquant un ancien dirigeant africain. Cette fois, c’est l’État gabonais lui-même qui initie la procédure, en opposition frontale à son ancien président. L’initiative est perçue comme un signal fort : Libreville entend reprendre le contrôle du narratif international et réclamer des comptes à ceux qu’il accuse d’avoir pillé les ressources du pays.
En parallèle, la justice gabonaise a relancé plusieurs dossiers internes visant des membres du clan Bongo, notamment des enquêtes patrimoniales autour de Noureddin Bongo Valentin et de certains proches collaborateurs de l’ancien régime, arrêtés dans les jours qui ont suivi le putsch.
Mais l’offensive dépasse les frontières. Des dossiers sont en cours de transmission ou déjà déposés auprès de plusieurs juridictions internationales :
- À Londres, des investigations visent des propriétés et comptes bancaires supposément détenus par la famille Bongo à travers des sociétés-écrans.
- À Bruxelles, les enquêteurs cherchent à remonter des flux financiers transitant par des banques belges et impliquant des intermédiaires liés à Sylvia Bongo, de nationalité française mais d’origine franco-gabonaise.
- À Washington, des demandes de coopération judiciaire sont en cours dans le cadre de soupçons de transferts de fonds suspects ayant transité par des institutions financières américaines.
- À La Haye, bien que la Cour pénale internationale (CPI) ne soit pas encore officiellement saisie, des discussions officieuses laissent entrevoir une possible plainte pour « crime économique contre le peuple gabonais », concept juridiquement flou mais politiquement symbolique.
Cette cascade de procédures répond directement à l’initiative de Sylvia Bongo, incarcérée à Libreville, qui avait, dès l’automne 2023, mandaté plusieurs avocats internationaux pour contester sa détention, et pour dénoncer ce qu’elle considère comme une « saisie arbitraire » de ses biens. Elle avait saisi la justice française et tenté une médiatisation en Europe pour redorer l’image ternie de sa famille.
Face à cette campagne internationale, le régime d’Oligui a choisi une stratégie duale : communication maîtrisée à l’étranger, mais fermeté judiciaire. Le général Oligui Nguema, tout en ménageant ses discours sur la « réconciliation nationale », n’entend pas laisser impunie ce qu’il qualifie de « décennies de prédation ».
L’originalité de cette offensive tient aussi au fait qu’elle inverse une tendance historique. Jusque-là, les poursuites pour enrichissement illicite de chefs d’État africains provenaient d’ONG ou de pays tiers, souvent européens. Aujourd’hui, c’est un État africain lui-même qui demande des comptes à ses anciens dirigeants sur la scène judiciaire internationale.
C’est un message politique fort, adressé autant à la communauté internationale qu’aux élites locales : l’ère d’impunité semble, au moins en apparence, remise en cause.
La guerre judiciaire entre le régime de transition et la famille Bongo s’annonce longue, complexe et hautement médiatisée. Entre enjeux de souveraineté, volonté de justice et règlements de comptes politiques, le Gabon expérimente une nouvelle phase de son histoire post-Bongo, où la justice pourrait devenir l’arène principale des affrontements.
Les prochains mois diront si cette offensive marque une réelle volonté de transparence ou si elle s’inscrit dans une logique plus pragmatique de consolidation du pouvoir par Oligui Nguema. Mais une chose est sûre : dans cette affaire, chaque coup porté aura des répercussions au-delà des prétoires.
LA REDACTION
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