N’Djamena, capitale des festivals : Vitrine culturelle ou foire commerciale déguisée ?
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N’Djamena, capitale des festivals : Vitrine culturelle ou foire commerciale déguisée ?

Depuis quelques années, N’Djamena, la capitale tchadienne, connaît une effervescence culturelle sans précédent. Chaque mois, voire chaque semaine, un festival prend place dans un quartier, un centre culturel, une place publique ou un hôtel de la ville. Ces festivals, souvent présentés comme des moments de promotion culturelle, attirent artistes, curieux, touristes et vendeurs de tout acabit. Cette multiplication d’événements pose une question fondamentale : assistons-nous à une véritable valorisation des cultures tchadiennes ou à une banalisation marchande de la notion de festival ?

Une scène culturelle en ébullition

La dynamique culturelle de N’Djamena est aujourd’hui incontestable. Des festivals tels que le Festival Dary, le FEST’Africa, le N’DjamVi, le Festival Au Cœur de l’ART, le Festival Koura Gosso, le Festival International de Slam et d’Humour, Afrotronix Live, le Festival Haguina, Walia’s Live, le Festival Gondja, et le plus récent, le Festival Taikanra, attirent des milliers de spectateurs et mobilisent des artistes venus de toutes les régions du Tchad.

Chacun de ces festivals revendique une ambition : mettre en lumière la richesse ethnique, linguistique et artistique du Tchad. Avec plus de 200 groupes ethniques, le Tchad possède un patrimoine culturel d’une richesse exceptionnelle. Les festivals apparaissent ainsi comme des plateformes de visibilité et de dialogue.

Une diversité d’expressions et de formats

Les festivals à N’Djamena touchent des domaines variés : musique, danse, mode, arts plastiques, gastronomie, littérature, contes, cinéma et même innovations technologiques. Cette diversité reflète une volonté d’inclusion culturelle et générationnelle. On y retrouve aussi bien des troupes traditionnelles de danse que des DJs électro, des artisans que des créateurs de mode contemporaine.

La jeunesse tchadienne, souvent marginalisée dans les sphères politiques, trouve dans ces festivals un espace d’expression, de revendication et de création.

L’inquiétante dérive commerciale

Toutefois, cette vitalité culturelle s’accompagne d’un glissement vers lamarchandisation. De plus en plus, les festivals sont organisés autour de stands de vente, de « corners » de marques, de « business talks », parfois au détriment du contenu artistique. Il n’est pas rare de voir un festival où la scène musicale est reléguée au second plan derrière les stands de vêtements, de produits de beauté ou de gadgets électroniques.

Certains observateurs dénoncent une instrumentalisation du mot « culture » pour attirer les sponsors, les institutions internationales ou les médias, sans véritable contenu culturel enraciné. Le mot « festival » devient alors un label vendeur, parfois vidé de son sens premier.

Une opportunité économique et sociale à encadrer

Il serait cependant injuste de ne voir dans ces festivals que des opérations commerciales. Pour de nombreux artisans, artistes ou jeunes entrepreneurs, ces événements constituent des occasions précieuses de visibilité et de revenus. Dans un contexte de chômage élevé et de raréfaction des opportunités économiques, les festivals offrent une alternative viable.

La solution n’est donc pas de freiner cet engouement, mais de mieux encadrer et structurer les festivals pour garantir un équilibre entre l’aspect culturel, éducatif et économique. Cela passe par :

  • Des critères de sélection clairs pour les festivals subventionnés.
  • Une valorisation des langues et des savoirs traditionnels.
  • Des espaces réservés à la transmission (ateliers, conférences, formations).
  • Une implication réelle des communautés locales dans l’organisation.

Redéfinir le sens du « festival » à la tchadienne

La richesse des cultures tchadiennes ne se résume pas à des spectacles folkloriques ou à des ventes d’artisanat ou des bières. Elle repose sur des récits, des savoirs, des pratiques et des mémoires vivantes. Le défi pour N’Djamena est donc de créer un modèle de festival proprement tchadien, qui allie tradition et modernité, commerce et culture, inclusion et excellence.

La multiplicité des festivals à N’Djamena est à la fois le symptôme d’une soif d’expression culturelle et d’un besoin économique. Si elle n’est pas accompagnée d’une réflexion sur le contenu, la qualité et les finalités, cette floraison peut perdre son âme. Le festival ne doit pas devenir une simple foire. Il doit rester un acte de transmission, de dialogue et de mise en valeur des identités. Le Tchad a tout à gagner à faire de ses festivals de véritables outils de cohésion nationale et de rayonnement culturel.

MBAILEDE TRESOR

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