Constant Mutamba, ministre d’État chargé de la Justice et garde des Sceaux, a présenté sa démission dans un climat explosif mêlant scandale financier, tensions politiques et accusations graves. À seulement 37 ans, ce jeune juriste devenu ministre emblématique de la lutte anticorruption se retrouve lui-même au cœur d’une affaire tentaculaire de détournement de fonds publics.
L’affaire remonte à une plainte formelle du procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvonde, adressée le 21 mai 2025 à l’Assemblée nationale. Il sollicitait la levée de l’immunité parlementaire de Mutamba, afin de permettre des poursuites judiciaires dans une affaire de détournement présumé de 19,9 millions USD. Ces fonds faisaient partie d’une enveloppe de 39 millions allouée à la construction d’une prison à Kisangani, financée par un fonds spécial destiné à indemniser les victimes de la guerre des « six jours », en application d’une décision de la Cour internationale de justice (CIJ).
Ce chantier public aurait été attribué à Zion Construction SARL, une entreprise de création récente (mars 2024), sans capital ni garanties connues , un choix pour le moins suspect.
Le 29 mai 2025, les députés se sont prononcés : 17 voix pour, 2 contre et 2 abstentions. L’Assemblée nationale a ainsi levé l’immunité de Mutamba, ouvrant la voie à une information judiciaire. Le ministre a été auditionné à deux reprises début juin, niant fermement les accusations.
Il parle d’un « complot politique », orchestré selon lui par des adversaires internes et des puissances étrangères, en particulier le gouvernement rwandais, qu’il accuse de représailles via des « réseaux mafieux » en lien avec certains responsables congolais. Il évoque aussi des tentatives d’assassinat et d’empoisonnement, sans fournir jusqu’ici de preuves concrètes.
C’est dans ce contexte brûlant que Mutamba a présenté sa démission le 18 juin 2025. Un geste rare à ce niveau de responsabilité. Il affirme vouloir « se mettre à la disposition de la justice », tout en dénonçant une instrumentalisation de l’appareil judiciaire à des fins politiques.
Dans sa lettre de démission, Mutamba se défend avec vigueur :
« J’ai mené un combat sans relâche contre la corruption. Aujourd’hui, je suis la cible de ceux que j’ai combattus. »
Ironie de l’histoire, Mutamba s’était taillé une réputation de croisé de la transparence. Nommé ministre en juin 2024, il avait initié plusieurs actions emblématiques : audit de l’administration judiciaire, procédures disciplinaires contre des greffiers accusés d’avoir détourné plus de 9 millions USD en 2023, et même une proposition controversée de peine de mort pour les détourneurs de fonds publics.
Mais ce positionnement radical semble aujourd’hui se retourner contre lui. Nombre d’observateurs dénoncent une fragilité systémique des institutions congolaises, où la frontière entre justice, politique et intérêts privés reste floue.
Cette affaire dépasse le sort individuel de Constant Mutamba. Elle révèle les profondes vulnérabilités de la gouvernance congolaise, malgré une rhétorique récurrente de réforme et de lutte anticorruption.
Elle pose aussi la question cruciale de l’indépendance du système judiciaire, régulièrement accusé d’être utilisé comme un instrument de règlement de comptes politiques.
Alors que le président Félix Tshisekedi a fait de la lutte contre la corruption un pilier de son discours, le départ de l’un de ses ministres les plus en vue dans un tel scandale met à mal la crédibilité du gouvernement, à moins d’un an des prochaines élections législatives et locales.
LA REDACTION