Une scène qui, désormais, n’étonne plus : des jeunes Tchadiens arrêtés sur les berges du fleuve Logone pour avoir utilisé les réseaux de téléphonie mobile camerounais à des fins de transfert d’argent. Leur crime ? Avoir utilisé les services de mobile money de MTN et Orange Cameroun pour envoyer ou recevoir de l’argent, souvent à destination ou en provenance des nombreux étudiants tchadiens poursuivant leurs études au Cameroun.
Ces arrestations, bien que légales selon la réglementation en vigueur, soulèvent de vives inquiétudes et mettent en lumière un dilemme socio-économique de plus en plus pressant : comment concilier contrôle économique national et besoins urgents de survie des familles ?
La présence de ces jeunes sur la frontière n’est pas un simple hasard. Elle est dictée par la géographie le signal des réseaux camerounais couvre les zones frontalières tchadiennes et par une réalité sociale : les familles cherchent à soutenir leurs enfants en exil académique dans un pays voisin plus accessible économiquement ou administrativement. Les transferts opérés via mobile money représentent une alternative simple, rapide et peu coûteuse à un système bancaire local jugé lent, cher ou inefficace.
Pour beaucoup de familles tchadiennes, la transaction transfrontalière via mobile money n’est pas un choix de fraude, mais une solution de survie.
Les autorités tchadiennes, en justifiant les récentes arrestations, évoquent une « fuite massive de capitaux » qui menacerait l’économie nationale. Si cette préoccupation peut se comprendre dans un contexte de fragilité macroéconomique, elle apparaît déconnectée des réalités sociales. Car derrière ces flux d’argent, ce sont des vies, des projets éducatifs, des soins médicaux, et des solidarités familiales qui se jouent.
En réprimant ces pratiques sans proposer d’alternative crédible, l’État risque de se heurter à une logique d’échec : les parents, toujours motivés par le devoir de soutenir leurs enfants, contourneront les interdictions en se rendant directement de l’autre côté de la frontière à Kousseri par exemple pour continuer les transactions, cette fois dans une opacité plus grande.
La criminalisation d’un phénomène motivé par un besoin réel ne peut constituer une stratégie durable. Elle contribue à creuser le fossé entre institutions et citoyens, et à encourager une économie parallèle difficilement contrôlable. À l’inverse, plusieurs pistes existent pour canaliser ce phénomène vers une forme régulée, bénéfique pour tous :
- Réglementation officielle des transferts transfrontaliers, avec des accords bilatéraux permettant aux opérateurs tchadiens de collaborer avec ceux du Cameroun dans un cadre légal.
- Amélioration des services financiers locaux, pour les rendre compétitifs en termes de coûts, de rapidité et d’accessibilité.
- Création de passerelles officielles pour les étudiants et familles transfrontalières, permettant des transferts ciblés avec des frais réduits ou subventionnés.
Ce qui apparaît aujourd’hui comme un problème sécuritaire est en réalité une opportunité de réforme. La forte demande de services financiers transfrontaliers témoigne d’un besoin réel de connectivité économique dans la sous-région. Plutôt que de réprimer, il est temps pour les États de s’adapter à cette nouvelle réalité et d’en tirer parti pour moderniser leurs politiques économiques et sociales.
Tant que les solutions légales resteront inaccessibles ou inexistantes, les citoyens continueront à inventer leurs propres chemins. Et le fleuve Logone, loin de marquer une frontière étanche, continuera d’être un pont invisible entre des vies interconnectées.
LA REDACTION
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